Controverses podcastiques

Salut à tous, depuis quelques jours (voir semaines, voir mois), la communauté des podcasts est agitée par l’arrivée de nouveaux acteurs qui, selon certains, ne respectent pas les règles du jeu.
Bien sûr le podcast a évolué de manière organique et chaotique, et personne n’est donc vraiment sûr de ce que ces règles devraient être. Et pour ne rien arranger, beaucoup des discussions ont lieu sur Twitter, ce qui a tendance à noyer les arguments et à favoriser les prises de bec.

Le dernier incident en date a suivi la sortie de l’application Majelan, qui a pour ambition de faire cohabiter les podcasts gratuits traditionnels et des productions originales accessibles par abonnement.
Je reviendrai sur la nature du débat du jour dans un instant, mais il est important de préciser que la communauté a été échauffée il y a peu par un autre acteur, Luminary, dont les pratiques étaient plus objectivement répréhensibles (manipulation de flux, pratiques qui privent les créateurs de données importantes, etc). Elles ont depuis été globalement corrigées, mais la frustration demeure pour beaucoup.
Les auditeurs attentifs noteront que je ne me suis pas exprimé dans l’émission sur la première controverse (qui me paraissait très “inside baseball”), et je ne suis pas sûr de le faire sur la seconde. Mais en tant que membre de cette communauté, je pense qu’il pourrait être bon que clarifie ma position, ne serait-ce que par soucis de clarté. Car le débat commence à toucher à des questions bien plus profonde que les pratiques de telle ou telle application : les “règles” du podcast, comme je l’évoquais, et celles qui devraient régir notre industrie.

Mais de quoi parle-t-on ?

A ce stade, ceux qui n’ont pas suivi l’histoire de près commenceront sans doute à se demander “ok c’est beau les introduction interminables, mais en fait c’est quoi exactement le problème ?” Rentrons donc dans le concret.
Je pense qu’on peut dire qu’en France, la fronde est menée par Yann Rieder, un vétéran du média. Il a été très actif sur les réseaux sociaux, et a publié ce samedi 8 juin un manifeste intitulé “Le podcast est un média ouvert”, signé par un bon nombre de créateurs de podcasts indépendants. Je vous encourage à aller lire le texte dans son intégralité, mais il me semble qu’en grande partie, il énonce par écrit des bonnes pratiques sur lesquelles l’essentiel de l’industrie tombera d’accord : le fait de ne pas modifier le contenu d’une émission par exemple (en y insérant de la publicité), ou encore de ne pas ré-héberger les fichiers. Les sujets plus délicats dont parle le manifeste, et qui posent problème à certains avec l’application Majelan, touchent à quelque chose de plus subtile : la coexistence de ce contenu “ouvert” et de contenus “fermés” (payants).
J’espère ne pas trahir la pensée de Yann et de ses co-signataire en disant que le principal grief levé à l’encontre de cette application est l’idée qu’ils se servent des contenus ouverts (les podcasts) pour créer un catalogue vitrine qui attire l’auditeur, pour monétiser ensuite cette audience en leur vendant un abonnement à leurs propres productions. Ainsi, ils bénéficient de la popularité des émissions “ouvertes”, mais sans rémunérer leurs créateurs.
Un autre point de désaccord réside dans le fait que les créateurs ne sont pas consultés, et ne donnent donc pas leur accord pour une publication sur la plateforme ; ils doivent en demander le retrait plutôt que l’ajout.

Je pense que les faits sont indéniables, et une personne qui ne connaîtrait pas l’univers du podcast serait peut-être de l’avis que la chose est critiquable. Je ne suis pourtant pas tout à fait de cet avis, et après mes discussions ces derniers jours, j’ai l’impressions de faire office de mouton noir dans notre petite communauté de podcasteurs francophones. En effet, pour moi le fonctionnement du podcast a toujours été de cette nature, et ça n’est pas forcément une mauvaise chose. Je détaille en deux points :
1) Depuis leur formalisation, les applications de podcast construisent leur catalogue à partir de celui d’iTunes (qui sert un peu de base à toute l’industrie). Sans celui-ci, le monde du podcast est sévèrement handicapé. Et si les créateurs doivent soumettre leur émission à iTunes à la base, ils ne donnent pas formellement leur accord à des applications comme Downcast ou Podcast Addict d’indexer leurs émissions. C’est un système qui a contribué à l’essor du média, permettant un développement rapide et sans barrières (un peu comme le web).
2) Toutes les apps retirent des bénéfices financiers de cette vitrine. Certains vendent leur application, d’autres affichent de la pub à l’écran pendant l’écoute, et même Apple enrichit son écosystème avec nos production, ce qui favorise, modestement mais tout de même, leurs ventes de matériel ou de média.
(Et j’aimerais noter ici que nous bénéficions nous aussi de cet écosystème : sans ces apps, que nous ne rémunérons nullement, l’écoute de nos podcasts seraient grandement compliquée…)
En gros, en tirant un tout petit peu sur tous ces cheveux, je pense qu’on peut dire que ce que fait Majelan n’est pas très différent de ce qui s’est fait jusqu’ici (et on est par contre à mille lieux des pratiques répréhensibles de Luminary à son lancement).

Pas très différent, ok, mais un peu différent quand même ?… J’en conviens, le “profit” est peut-être plus direct. Mais à mon sens, le principe ne change pas tant, et je trouve surprenant qu’on soit si opposé au principe dans un cas si on accepte l’idée dans les autres.
J’ai d’ailleurs avancé cette idée dans nos discussions sur les réseaux sociaux (toutes les apps de podcasts, de la plus modeste à la plus dominante, tirent profit de nos productions), et les réponses ont été variées : certains m’ont dit que les petits acteurs passionnés ne les gênaient pas (je ne suis pas sûr que la différence soit cohérente puisque certains vivent à 100% de leurs “petites” applications, mais soit), et d’autres m’ont dit que ce système leur posait problème dans ces cas aussi (comprendre : toutes ces apps qui tirent des bénéfices financiers de cet écosystème sont fautives), ce qui me parait extrême.

Il y à la, à mon sens, un problème qui dépasse les considérations sur le podcast. Je retrouve plus ou moins les idées et les frustrations du débat qui oppose Google aux organes de presse : selon les uns, Google “vole” leur contenu pour créer un produit dont ils ne bénéficient pas, et selon Google, le service qu’ils rendent (et sur lequel ils monétisent) est simplement l’indexation de ce contenu (ce qui bénéficie au final aux sites qui en reçoivent beaucoup de traffic). Ce débat est insoluble, parce que la réalité de cette situation est que les deux arguments sont un peu vrais en même temps…

Une solution ?

Quoi qu’il en soit, je crois que dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui, une solution raisonnable est plus facile à implémenter (heureusement) : si on ne veut pas être indexé par une app, il faut pouvoir se retirer du catalogue facilement. Que l’écosystème du podcast se soit monté grace à cette ouverture et cette liberté ou pas, je pense que les créateurs ont le droit de ne pas être présent dans un service qu’ils n’approuvent pas. Et ce sans avoir à fouiller dans les bas fonds d’un site ou tenter de contacter vainement un responsable débordé.
Et l’aspect technique serait simple : chaque fichier RSS de podcast (le coeur du système) intègre un email de contact. Un service peut facilement créer un page de retrait où un créateur peut rentrer son flux RSS, et recevoir un mail de confirmation avec un lien à cliquer. Cliquez, c’est terminé. Cette méthode serait comparable à la manière dont on remet à jour ses mots de passe. Peut-être pas parfait, mais à mon sens le meilleur compromis.

Opt-in, opt-out

Certains mettront en avant la question du “opt in” plutôt que du “opt out”.
Je comprends l’argument : pourquoi mettre la charge de se désinscrire sur le créateur, plutôt que de leur donner la possibilité d’être présent s’ils le souhaitent ? La question peut certes se poser. Mais il faut être réaliste : le “opt-in” ne permet pas le le fonctionnement serein de notre média.
Le podcast est effectivement un média ouvert, qui s’est construit grace à cette liberté… Si chaque podcasteur devait aller autoriser son émission sur chaque app qui se crée, l’écosystème serait non seulement sévèrement ralenti, mais je pense qu’il favoriserait surtout les gros acteurs déjà en place, parce que personne n’irait prendre le temps de s’intéresser à la nouvelle app d’un petit développeur qui se lance : sans catalogue accessible, elle n’aurait simplement aucune chance.
Je le dis donc sans détour : pour moi, imposer le “opt-in” serait une terrible fausse bonne idée. Si on doit imposer quelque chose, il me parait préférable de favoriser le “opt-out ultra simple” décrit plus haut. Si certains ont de meilleures solutions je suis tout ouïes, mais à ce stade cette solution me parait la plus raisonnable.

Un dernier point sur la question des podcasts “cachés”. Majelan fait aussi une chose que d’autres apps ne font pas : si un utilisateur s’abonne à un podcast par leur app, ils ajoutent automatiquement ce podcast à leur catalogue. La pratique a été critiquée parce que ces flux “non publics” sont visiblement utilisés par certains pour créer des podcasts réservés à certains auditeurs. Au delà du fait que ça ne me semble pas être le meilleur moyen de créer un podcast secret (un peu comme créer une page web ; une fois que l’URL se répand, difficile de garder le secret), je comprends que cet aspect dérange. J’encouragerais donc Majelan à retirer cette fonctionnalité, qui ne leur apporte, j’imagine, pas grand chose de toute façon.
A terme, il serait peut-être bon d’intégrer au protocole des podcasts un champs “no indexing” comparable à ce qui existe sur le web (encore lui) avec les fichiers robot.txt, qui peuvent indiquer aux moteurs de recherche qu’ils ne doivent pas inclure une page dans leurs résultats de recherche. Peut-être même avec des catégories (indexable si vous êtes un catalogue de type X ou Y, non indexable sinon) – ce qui serait peut-être un peu trop complexe. Disons que dans l’état, iTunes reste le catalogue source, et il est contrôlable. Y trouver un système alternatif serait sans doute bon, mais c’est un peu un autre débat.

Vous l’aurez compris, à travers cette controverse nous touchons à la question de la nature de notre industrie naissante : le média est sans doute plus libre et ouvert que les autres, à peu près autant que le web, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des bonnes pratiques et des règles à respecter. Et quand on attache un service payant à ces productions, je pense qu’on doit être attentif à la manière dont on opère. Mais tant qu’un service ne se rémunère pas directement sur les podcasts, je pense qu’il est raisonnable qu’ils ne les rémunèrent pas en retour.
Autant je serais ravi de recevoir une redevance de toutes les apps de podcasts qui utilisent mes émissions, autant je crains que cette idée ne soit pas raisonnable : si chacune d’entre elle devait payer les milliers podcasts qui font le catalogue elles n’existeraient tout simplement pas… Dans ces conditions, l’alternative la plus juste me parait de respecter le “droit de retrait”, et sa mise en place simplifiée.

Voila pour mes 2c !

June 9th, 2019