Les motivations du “grand saut”

Chers amis, l’heure est grave. Si vous ne l’avez pas fait, je vous invite à regarder cette vidéo. Le texte solennel vient après.

 

Donc voila, nous y sommes : je quitte mon “vrai” travail fin octobre. Une démission sèche, sans filet. C’était un emploi sûr, dans une grande société solide, qui développe des produits auxquels je suis fier de contribuer.
“Mais bon sang, quelle mouche a bien pu le piquer ?!”, vous dites-vous, effaré… Et bien j’espère apporter avec cet article quelques éléments de réponse.

A vrai dire, vous savez sans doute déjà l’essentiel : je veux pouvoir me consacrer à temps plein à cette passion qui m’anime depuis presque dix ans, la création de media indépendants sur Internet. Mais si la passion est une belle image, la décision reste difficile, et le pari est risqué. La formidable communauté qui a déjà contribué au succès du financement participatif du Rendez-vous Tech est un encouragement sans pareil, mais passer d’un supplément de salaire – aussi confortable qu’inattendu – à une somme suffisante pour manger, payer le loyer, et faire face aux imprévus, c’est une autre histoire.

Pourtant, au fil du temps, cette décision est devenue inéluctable. Voici les différents facteurs qui ont joué :

  • Avant tout, j’en ai longuement parlé avec ma femme, et elle m’a encouragé a sauter le pas. Nous sommes très semblables sur ce point : le bonheur passe par la passion, et quand je parle de mon activité en ligne, mes yeux s’illuminent. Mais il n’empêche, sans son soutien et ses encouragements je ne sais pas si j’en aurai eu le courage de me lancer. Vous le saviez déjà, mais c’est une preuve de plus que ma femme est absolument formidable.
  • Je ne suis pas fou. Je sais, ça peu surprendre, mais c’est vrai. J’ai calculé les paliers, estimé les moyens de générer du revenu, planifié les activités, évalué les risques, et bien d’autres choses moins sexy que la déclaration insouciante : “je me jette à l’eau !”. J’ai mis de l’argent de côté pour combler les trous du démarrage, et j’ai établi un projet (que j’espère) solide pour ce lancement. Je suis plus fourmi que cigale, et je sais ce que je veux et où je vais. Bref, “faire le grand saut” ne veut pas dire “faire n’importe quoi”.
  • Les émissions ont l’air de plaire à ceux auxquels elles s’adressent. C’est bête à dire, mais il est très difficile de juger son propre travail. Et même quand des centaines de personnes vous assurent qu’elles aiment vos produits, on peut avoir du mal à considérer qu’ils ont vraiment une qualité “professionnelle”. Mais j’ai fini par avoir aussi des échos positifs de différentes personnes qui n’avaient rien à voir avec le podcast ou la tech. Des gens qui connaissent les métiers des média qui voyaient une vrai valeur à mon travail, ce qui a énormément compté pour mon cheminement psychologique. Dans ce domaine, le succès du financement par Patreon a aussi joué, en montrant que, si la formule est cohérente, certains sont prêts à soutenir financièrement une personne dont ils apprécient le travail. Une idée vraiment nouvelle sur Internet !
  • L’argent n’est pas mon premier moteur. Bien sûr, comme tout le monde, je n’ai rien contre le fait d’en avoir plus. Et je ne serais pas contre l’idée de connaitre un jour un succès qui me permettrait de multiplier les acquisitions de résidences secondaires dans des pays exotiques. Mais si je peux réunir un revenu qui me permet de vivre décemment en faisant ce qui me passionne, je ne choisirai pas un salaire plus élevé pour faire une chose qui me passionne moins.

Grand saut

Et tout aussi important que tout ça, cette aventure n’est pas une amourette passagère :

Comme s’en souviendront les plus anciens (et les plus jeuvidéoifiés), j’ai commencé à faire du podcast en 2006. A cette époque, j’ai vraiment découvert une activité qui me correspondait plus que toutes celles que j’avais exploré auparavant. Le podcast est un média formidable, qui n’a pas vraiment d’équivalent ailleurs. A la fois personnel et universel, authentique et distrayant, honnête et totalement ouvert… Nous sommes très loin de la télé ou de la radio, auxquels associent parfois avec trop de hâte (à mon sens) ceux qui le découvrent. La conversation est directe, les auditeurs sont invités à la table des animateurs (qui sont des gens comme eux et pas des journalistes froids), et la relation a des accents de vérité que l’on ne retrouve pas dans les média traditionnels. Et si on peut ajouter à ce cocktail un peu de sérieux et de rigueur, il devient détonnant. Je pourrais en parler pendant des heures mais vous l’avez compris : ça a été une vraie découverte.

Au delà de ça, j’ai aussi trouvé dans la production de ces émissions un mélange de technique et de création qui me convient à 100%. Totalement maître de mon navire, j’en crée la charpente avant de partir naviguer là où ça me chante. Un mélange artisanal moderne incluant informatique, production, animation, et même une intention éditoriale et artistique. Le concepteur fait tout et décide de tout, et la responsabilité du produit fini ne repose que sur ses épaules. Si une émission est ratée, c’est de ma faute. Si une autre est réussie, la fierté en est d’autant plus grande. Ca fout les chocottes, mais ça motive aussi beaucoup.

Je parlais de durée, et ça n’est pas un euphémisme : mon “hobby” a traversé les années et des périodes compliquées. Devoir abandonner l’émission qui m’a lancé et que j’aimais tant (pour raisons professionnelles), tenter de rebondir sur d’autres sujets sans savoir si le public suivrait, vivre la formidable aventure du regroupement NoWatch qui n’a hélas pas tenu, lancer tant d’émissions et s’imposer tant de travail que la santé finissait par en pâtir et devoir, à contrecœur, en arrêter certaines pour ne pas se noyer… Et surtout, tenir coûte que coûte la régularité métronomique des émissions, parce que c’est pour moi une valeur essentielle. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’on voyage, qu’on soit malade ou en vacances… 95% du temps, on trouve une solution et l’épisode est disponible, parce que le gens qui sont de l’autre coté du micro attendent ce petit plaisir qui les informera, les amusera ou les distraira (où les trois à la fois !), et qu’on ne veut pas les décevoir. Et par amour de ce que l’on fait.
Si je raconte tout ça ça n’est pas pour me faire mousser (même si ça ne fait pas de mal, soyons honnêtes), mais pour montrer à quel point la motivation est vitale pour tenir sur la longueur. Il faut avoir envie, sinon on s’arrête. Je pense qu’après huit ans sans m’arrêter, j’ai réalisé que j’avais assez envie pour le faire “pour de vrai”. Une autre pièce du puzzle qui m’a conduit à cette décision.

Sur cette durée s’est aussi construit un autre élément vital : la confiance de la communauté, sans laquelle tout ça ne serait pas possible. Des années où, mois après mois, épisode après épisode, les auditeurs ont appris à me connaitre, à me faire confiance au fil des nouvelles, des controverses ou des problématiques de l’industrie, mais aussi au cours des évolutions personnelles qu’ils ont presque partagé avec moi. Des fiançailles au mariage, des dos cassés aux déménagements, des voyages aux quintes de toux, et des grandes parties de déconnade aux discussions plus sérieuses. Certains n’étaient qu’adolescents quand nous nous sommes “rencontrés”, et ils sont aujourd’hui mariés… Nous avons vraiment traversé les années ensemble. Et c’est la même chose pour ceux qui débarquent : ils entrent dans un club ouvert et accueillant, dans lequel on se sent bien.
Sur les blogs, sur Facebook, Twitter, Google+ et ailleurs, nous sommes ensemble (presque) tout le temps, comme un sympathique blob informe et soudé à la fois. Des noms familiers à n’en plus finir, des anciens qui se souviennent d’anecdotes des tout débuts, des nouveaux qui découvrent le groupe… Cette confiance et cette camaraderie, forgée sur la longueur, représente aujourd’hui une bonne part du carburant qui me fait avancer.

Pour finir sur les choses qui ont compté, je me dois aussi de mentionner la communauté anglophone, qui a accueilli le petit Frenchie que je suis avec tant de chaleur, et qui me manquait terriblement. Ces podcasteurs d’exception, que certains d’entre vous connaissent, sont comme des amis que j’avais dû quitter en déménageant trop loin. Il me tardait de les retrouver, et je ne pouvais pas raisonnablement l’envisager sans donner plus de temps à cette activité.

Il y aurait encore beaucoup d’autres choses à dire, mais la liste deviendrait interminable. Voila donc déjà les points essentiels qui, réunis tous ensemble, m’ont poussé à prendre cette décision étrange, inhabituelle, qui en a surpris certains. Mais pour moi, en vérité, il n’y avait pas vraiment d’autre choix…

Bise à tous, je vous aime. <3

 

September 4th, 2014