Un papa et une maman
Ce billet est une adaptation d’un article écrit en anglais il y a déjà quatre ans : Marriage(tm). Le contexte est un peu différent, mais le coeur de l’idée reste le même.
Depuis quelques semaines, nous voyons monter en France une fronde que je pensais réservée aux conservateurs américains, contre le mariage homosexuel (ou son doux euphémisme, le “mariage pour tous”). Un peu décontenancé par ces manifestations que je n’attendais pas chez nous, je me suis dit qu’il serait peut-être intéressant d’en parler en Français aussi, d’une manière aussi dépassionnée que possible.
1) Les enfants
Là où le mouvement américain voulait un mariage “entre un homme et une femme”, les manifestants français mettent en avant l’aspect familial du problème, avec le slogan “Le mariage c’est un papa et une maman”. Je commencerai donc en évoquant cette préoccupation essentielle. Il me semble en effet assez légitime de se demander si le fait d’avoir deux parents du même sexe pourrait avoir des conséquences négatives sur le développement ou l’éducation des enfants. L’implication non dite du fameux slogan est, je pense, double : on se demande d’une part si les enfants grandiront heureux et équilibrés, et d’autre part si, influencés par leur modèle parental, ils seront plus enclin à “devenir” homosexuels.
Ces deux préoccupations, bien que compréhensibles à froid, me semblent réfutées par des années d’expérience empirique… et un peu de bon sens.
D’une part, je n’ai connaissance d’aucune étude sérieuse qui conclurait que les enfants élevés par des couples homosexuels seraient moins heureux que les autres. Ils sont généralement tout aussi socialement adaptés et s’épanouissent tout autant. Les exemples étant statistiquement significatifs, je pense qu’on peut raisonnablement conclure à leur validité et accepter ce consensus scientifique : l’expérience nous prouve que cette peur est infondée.
D’autre part, nous avons aussi constaté que les enfants de couples homosexuels ne sont pas plus ou moins hétérosexuels que les autres. Comme le disait avec humour une page Facebook que je ne retrouve plus, “l’orientation sexuelle des parents détermine l’orientation sexuelle des enfants, comme le prouve le fait qu’aucun homosexuel ne soit jamais né de parents hétéro”. Cette plaisanterie et cette constatation d’évidence évoque une autre vérité : on ne choisi pas son orientation sexuelle, et la sexualité des parents n’a pas pas grand chose à y voir (sinon, encore une fois, les couples hétéro n’auraient jamais d’enfants homosexuels).
Bref, même si encore une fois la préoccupation pourrait être légitime, l’idée que le couple homosexuel soit mauvais pour les enfants (et donc pour la société) me semble à écarter.
2) Le terme
Ensuite vient l’idée que je pense très répandue chez les gens les plus modérés, et qui était au coeur de mon article en Anglais : “nous n’avons rien contre les homosexuels, nous respectons et encourageons l’équité sociale, mais si un PACS ou un autre type d’union civile donne les même droits que le mariage, pourquoi aurait-on besoin d’utiliser ce terme qui nous est cher et que nous définissons traditionnellement comme l’union entre un homme et une femme ? Ce n’est qu’un mot ; ne pouvons-nous pas le garder tel qu’il est, pour nous, et utiliser pour une union plus administrative un autre nom ?”
Là encore, l’argument parait raisonnable. Le mariage, n’en déplaise aux furieux, est bien considéré comme une union hétérosexuelle dans notre société, et cette notion ne date pas d’hier. Pourquoi vouloir absolument “s’approprier” ce mot, s’il est déjà défini d’une part, et si on a les même droits avec un “autre mot” de toute façon ? Hélas les choses ne sont pas si simples, et je vais là aussi diviser cette partie en deux points.
L’amour
D’une part je pense que le mot “mariage” a un sens beaucoup plus profond que la définition que nous lui appliquons aujourd’hui. Je m’explique : il y a en tout être humain un désir profond et inné de former un couple, de trouver l’âme soeur, de partager sa vie avec quelqu’un, etc etc. Personne ne disputera cette idée, je crois, et surtout pas les défenseurs du mariage “traditionnel” : vivre à deux est inscrit dans nos gènes et / ou dans notre âme.
Il y a quelques (milliers d’) années, les institutions religieuses ont défini, normalisé et régulé ce besoin et cette union de deux personnes : un homme et une femme. Le terme a été choisi et contraint à ce cadre, et après des millénaires de tradition, nous l’acceptons généralement comme tel.
Mais les personnes qui sont exclues de cette définition n’en ressentent pas moins ce besoin impérieux de vivre en couple et de célébrer leur amour. Ce besoin d’annoncer au monde (et à la société) la profondeur de leurs sentiments et la nature de leur union est le même que chez ceux qui peuvent utiliser le “label officiel de l’amour véritable”, c’est à dire le “mariage”. Et choisir un autre mot pour définir ce sentiment, que ce soit un PACS, une union civile administrative ou un “cérémonie de la joie et de la nature”, c’est travestir l’intention et définir cet amour comme… différent. Moins vrai, moins pur sans doute. Et certainement moins légitime.
Ce que nous constatons donc, c’est que le terme de “mariage” est au fond un “détournement” du sentiment universel que j’évoque plus haut et que nous connaissons (presque) tous. Si on caricature, on peut dire que notre société a mis une étiquette sur l’amour, et qu’elle n’autorisent que certains à l’utiliser. Les autres devront utiliser une autre “étiquette”, qui se référera mathématiquement à quelque chose “d’autre”. Quoi qu’on en dise, notre société a défini dans son histoire l’amour “vrai” avec un terme précis, et le garder jalousement ne me semble pas raisonnable.
La différence
D’autre part, il ne faut pas oublier non plus que les mots ont une portée. Un nom porte une signification qui dépasse la définition. Je prends dans mon article anglais l’exemple extrême de la ségrégation : un bus réservé aux noirs permettrait tout autant d’aller d’un point A à un point B. Pourquoi dans ces conditions vouloir absolument faire en sorte que les noirs puissent utiliser les mêmes bus que les blancs ? Si le but est de se déplacer, le “bus des gens de couleurs” accompli tout aussi bien la fonction. Là aussi, la question pourrait sembler, à froid, légitime… mais ici l’idée nous répugne.
L’analogie est grossière, presque insultante (pour toutes les parties impliquées), mais elle fait ressortir cette idée que la définition stricte n’est pas la seule finalité du terme, ni de la considération qu’en a la société. Dans le cas qui nous occupe, je pense qu’on comprendra aisément que le fait d’avoir un terme différent pour des personnes d’une “catégorie différente” porte en lui cet effet discriminant, surtout dans ce contexte sensible ou l’homosexualité elle-même est encore stigmatisée. Heureusement cette stigmatisation est beaucoup moins forte en France qu’aux Etats-Unis, mais il n’empêche : le terme que l’on choisirait, et la considération qui va avec, feront toujours référence à un “faux mariage”, un “mariage des homos”, un “mariage -1”, et il placera toujours les personnes qui n’ont pas accès au “vrai mariage” dans une catégorie… différente.
En conclusion
Reste cette conviction : je pense que les homosexuels ne s’aiment pas moins que les autres. Les obliger à appeler leur union autrement revient à leur dire que leur amour vaut moins que celui des autres. Que l’on soit d’accord avec ce résumé ou pas, et que l’on se défende de vouloir miner l’égalité des homosexuels ou pas, je pense qu’être contre le mariage homosexuel revient hélas, dans les faits, à ce résultat.
Post Scriptum:
Quelques mots sur l’aspect politique de la chose : j’ai souvent eu l’occasion de parler politique, sur les réseaux sociaux et ailleurs. Les discussions sont souvent animés, et la démocratie est faite de ces débats. Mais comme je le dis souvent également, la démocratie est aussi faite du respect du choix du plus grand nombre ; dans nos systèmes, on ne fait pas le choix qui contente tout le monde, on fait le choix qui contente le plus grand nombre. Et si on veut vivre en démocratie, on “accepte de l’accepter”.
François Hollande et le Parti Socialiste n’ont pas fait de secret de leur volonté d’instaurer ce mariage pour tous. Ils n’ont pas sorti cette loi d’une commission secrète, prenant le peuple par surprise. La France a voté il y a quelques mois, validant ainsi son projet pour le pays. J’estime que nous nous devons, par respect pour la démocratie, pour le peuple qui a exprimé sa volonté et par respect pour nous-même, d’accepter ce projet, même si nous sommes en désaccord avec certains des éléments qui le composent. Qu’on soit contre, pourquoi pas. Qu’on en relève les failles, qu’on en explique les dangers ou les erreurs, c’est même souhaitable. Mais qu’on exige le retrait d’une loi sur laquelle le peuple a décidé (et qui sera aussi votée par ses représentants au parlement) simplement au motif qu’elle ne nous plait pas me semble plus qu’anti-productif, ça me semble anti-démocratique.
Alors bien sûr il y a des cas où vouloir le retrait d’une loi est légitime. Parfois les circonstances économiques et sociales changent, on se sent trompé ou spolié. Mais je pense aussi qu’il y a plus de manifestations que de cas où on est légitimement “spolié”, puisque c’est toujours le peuple qui a choisi et que nous vivons en démocratie. On ne peut pas, par principe, reprocher à un gouvernement de gauche de faire une politique de gauche simplement parce que cette politique ne nous plait pas : ce gouvernement a été élu par la majorité du peuple. Pas plus qu’on ne peut reprocher à un gouvernement de droite de faire une politique de droite d’ailleurs, pour les mêmes raisons.
Bref, les détails théoriques sont discutables. Mais je pense en tous cas dans l’affaire concrète qui nous occupe aujourd’hui, où le projet était si clairement annoncé, nous nous devons d’être honnêtes et cohérents avec nous-mêmes, et d’accepter que la démocratie contente le plus grand nombre, même quand cette majorité ne nous inclue pas.