Reflexions sur la campagne 2017
En me réveillant j’ai commencé un Tweet, et deux heures plus tard il s’était transformé en article de plusieurs pages. Je crois que j’aurais aimé parler avec vous de cette campagne depuis des mois, comme je l’ai fait en 2012, mais des circonstances familiales compliquées m’en ont empêché. Alors ça sort maintenant, à la veille du premier tour et sans doute un peu tard, mais au moins j’aurai vidé mon sac. 🙂
Ce qui m’irrite le plus dans cette élection c’est le manque de retenue de la moitié du pays: quelle que soit notre intention de vote, on est un traitre à la nation, limite un égorgeur d’enfants, pour la moitié de la population.
Alors moi je vais voter Macron, et je vous emmerde.
D’abord je vais voter Macron parce que je pense qu’on peut, et même qu’on doit en finir avec les dogmes ineptes qui disent que si une mesure vient du camp d’en face elle est forcément la pire chose qui ait été imaginée de l’Histoire. Il y a des bonnes idées partout, et j’en ai ras le bol de me faire insulter par mes amis “de droite” quand je parle de ce qui est intéressant à gauche et vice versa. Ces attitudes absolutistes sont aussi toxiques que les trolls qui viennent pourrir toutes les conversations sur le net.
Ensuite je ne vais pas voter aux extrêmes parce que, avant tout, je suis convaincu que l’union de notre Europe est un trésor à chérir (je là fais une pause parce que j’en vois qui se sont mis à saigner du nez dans le fond…), et même une chance unique que nous serions fous de rejeter. On nous parle sans cesse de ses problèmes, et il serait vain de les nier, mais on oublie autant ses réussites. Au delà de l’ouverture culturelle et économique qui sont pour moi des forces incroyables et indispensables (un détail), et au delà de notre interdépendance qui nous met à l’abris des conflits de grande ampleur qui étaient jusque là toute notre Histoire (encore un détail), je pense que notre génération est une génération de l’Europe, de l’auberge espagnole, ouverte, mélangée, pleine d’enthousiasme et d’opportunités, qui donne à ce continent sa force. Nous sommes ensemble comme jamais dans notre Histoire, nous voyageons, nous rencontrons, nous connaissons, et le danger d’un repli sur soi est, dans le contexte local et global, le plus grand danger auquel nous ayons à faire face aujourd’hui. Le replis nous couperait des opportunités dont nous ne pouvons pas nous passer. Est-ce que tout va bien ? Non bien sûr, c’est une évidence. Je sais que nous vivons un conflit entre bénéficiaires et laissés pour compte de la globalisation. Mais je ne pense pas que tout aille mal non plus, comme voudraient nous le faire croire certains. Et quand il y a des problèmes, on les corrige, on ne jette pas le tout comme un bébé capricieux qui n’aime plus son jouet.
Et enfin, je ne vais pas voter pour les partis traditionnels parce que, au delà de l’évidence de la médiocrité de leurs campagnes, je crois que le message envoyé par un vote Macron est fort, mais qu’il va aussi dans le bon sens. On dit qu’on veut de la raison, pas de la panique. On veut de la mesure, pas du catastrophisme. Car c’est de mal que nous souffrons le plus : on ne sait plus aborder les choses calmement, et, poussés par l’urgence et la peur, on prend des décisions impulsives. Cette tendance me paraît dangereuse, et je préfère pousser dans le se sens de la raison et de la mesure. Contrairement aux anglais et aux américains, j’ai envie de réparer le système, pas d’envoyer la table valser dans un accès de rage, pour nous retrouver ensuite avec un bordel effroyable et une spirale incontrôlable.
Voila, l’essentiel est dit, mais si vous en voulez plus, vous pouvez continuer à lire…
J’ajoute un mot aux potentiels abstentionnistes (et là je sors mon parapluie, parce que je fais un truc qui est presque pire qu’atteindre le point Godwin). Oui la campagne est débile et affligeante, oui les politiques peuvent être fantasques ou décevants, et oui on peut avoir du mal à se motiver en 2017. Mais les election ça n’est pas “je veux tout et si je n’ai pas tout je ne ferai rien”. Je pense qu’il arrive un moment où il faut prendre ses responsabilités et choisir ce qui nous convient “le mieux” (même si “le mieux” c’est pas “parfaitement”), parce que sinon… Ben on met tout le monde dans la merde. Y compris soi même.
Et quand je dis ça, je pense surtout aux extrêmes qui font désormais l’Histoire en Angleterre et aux US. Mais je précise ma pensée : si vous êtes prêts à vivre avec ce genre de conséquences, ou si vous les appelez de vos vœux (oui il y en a, et même si je ne suis pas d’accord, il faut admettre que c’est aussi ça la démocratie), alors votez selon votre conscience. Loin de moi l’idée de vous dire que vous n’avez pas le droit de voter pour tel ou tel candidat, au contraire ! Ou même de ne pas voter, si ce qui se passe après vous importe peu.
Mais si vous pensez à ne pas aller voter, et qu’en lisant les infos vous ne vous imaginez pas ça ici, alors je vous encourage, et même je vous implore de jouer le jeu de la démocratie : parfois, au premier tour on vote pour un programme, et au second on vote contre un autre.
Et prenons un poil de recul : quand on a 11 candidats, et une polarisation aussi intense et ridicule (comme je le disais plus haut, voter autrement que ce que veulent X ou Y fait de vous un traitre et un salaud), alors le choix du deuxième tour est *forcement* un choix “contre” pour la plupart de gens. Un choix impossible, une torture, un crève coeur (et j’en passe). Parce que si on déteste tout le monde et qu’aucun autre candidat que le notre ne détient la vérité suprême, on se retrouve forcément dans une situation impossible au bout du compte. Excusez-moi, mais je ne suis pas client de cette méthode. D’ailleurs, si on va au fond des choses, pour moi le vrai mal de notre débat démocratique est là : nous avons perdu la perspective raisonnable et la mesure qui est nécessaire pour discuter efficacement. Je le dis parfois dans mes émissions, les pays nordiques ont une vie politique passionnante, mais ils savent mieux que nous mettre un arrêt aux atermoiements et aux postures idéalistes pour régler les problèmes. Nous pourrions, sur ce point comme sur d’autre, nous inspirer de leurs pratiques.
NB : Je sais que, quelque part dans le dernier paragraphe, je me suis attiré les foudres de ceux qui pensent que notre système n’est pas vraiment “démocratique” et qui se hâteront de proposer toutes sortes de formules plus efficaces (dont certaines sont fascinantes). Je suis au courant, et je serais heureux d’en discuter… un autre jour.
Et à ceux qui me disent, la larme à l’œil et la lèvre tremblante “mais ça fait des années, des décennies que ça dure, jusqu’à quand va-t-on voter utile ??!!” je réponds : bah tant que c’est nécessaire.
Encore une fois, si vous vous dites que l’élection de tel ou tel candidat ne vous dérangerait pas, alors oui, votez blanc, ou n’allez pas voter, ça me paraît compréhensible. Mais si vous n’êtes pas d’accord avec un certain modèle, je suis désolé de vous le dire, mais il faut se forcer. D’abord parce que le vote utile n’est pas l’abomination qu’on nous présente ; cette caractérisation est pour moi plus souvent un outil démagogique qui diabolise le programme d’en face (encore) pour récupérer le (non)vote de l’outré. Oui il est parfois “impossible” de voter totalement contre ses convictions, mais les choix démocratiques peuvent aussi être des choix difficiles, et ils sont nécessaires pour que notre système fonctionne correctement. Je me répète, mais avec 11 candidat(e)s, la plupart des gens n’auront pas, au deuxième tour, le privilège de voter pour celui ou celle qu’ils préfèrent.
Donc oui, au premier tour, votons par conviction, mais au second, il faudra quand même aller aux urnes. Parce que qu’on vote ou pas (et que ça nous plaise ou non), on a une part de responsabilité dans le résultat. Il sera temps, le 8 mai, de se mettre à militer pour un système de vote plus représentatif. Mais d’ici là…
Bref, je sais que cet article va provoquer l’ire de nombreux lecteurs.
Celle des militants qui m’expliquent chaque jour par force vidéo moqueuse que Macron est un jouet de Grand Capital, ou ceux qui me bousculent parce qu’il est l’héritier du Hollandisme islamo-gauchiste. Celle des révolutionnaires de la démocratie qui savent bien, eux, que notre système est insauvable et que tout irait mieux si seulement on faisait les choses comme eux ils pensent. Ceux qui se lamentent de voir où nous en somment arrivés et qui ne se trouvent plus, épuisés qu’ils sont de cette guerre menée depuis le confort de leur fauteuil, la force intellectuelle d’aller jusqu’à leur bureau de vote.
Et bien moi je répète ce que je disait en début d’article, et je vais faire les deux seuls choix qui me paraissent raisonnables :
Je vais voter Macron, et je vous emmerde.
PS : Je m’empresse de dire que, comme certains d’entre vous le savent, et contrairement à ce que pourrait laisser penser le ton de cet article, je me bats depuis longtemps pour promouvoir la compréhension et l’écoute de l’autre (surtout si on n’est pas d’accord avec cet autre), notamment avec mon émission anglophone “The Phileas Club“.
Si je dis ça, c’est pour vous assurer que je suis toujours ouvert à la discussion – à partir du moment où cette discussion se fait sincèrement. Avec un point de départ qui laisse la place à l’écoute “vraie”, et qui n’est pas juste, comme le dit très bien Tyler Durden, un moment où on attend notre tour de parler. Donc si vous voulez discuter, que ce soit sur le blog, Twitter ou Facebook, je vous écoute.
PPS : J’ai publié un nouvel article un jour après celui-ci, en analysant de manière aussi neutre que possible les causes et la teneur de nos différences. Si ça vous intéresse, c’est disponible ici.